La mort aux trousses (North by Northwest)

Publié le par noaR

Récit initiatique s'il en est, la mort aux trousses nous propose de suivre l'incroyable aventure de Roger O. Thornhill. Publicitaire brillant mais qui n'a toujours pas réussi à s'émanciper d'une mère autoritaire et castratrice, ce dernier se fait enlever dès le début du film et découvre que ses ravisseurs le prennent pour un espion du nom de Kaplan. Dans toute la première moitié du film, Thornhill n'aura donc de cesse de dissiper ce malentendu, et ce faisant, se retrouvera accusé d'un crime qu'il n'a pas commis. Pourchassé par des espions, recherché par la police, il est persuadé de pouvoir mettre fin au cauchemar en retrouvant le véritable Kaplan, sans savoir que ce dernier n'existe pas : c'est un espion fictif imaginé par la CIA pour assurer la sécurité d'un agent infiltré dans le réseau ennemi. Et pourtant, Thornhill rentre peu à peu dans la peau de Kaplan : il endosse son identité à plusieurs reprises pour progresser dans son enquête et finit même, dans la seconde moitié du film, par devenir un véritable agent secret, mettant en échec un réseau d'espion et récupérant des secrets d'état consignés sur microfilms. Au passage, il découvrira l'amour avec Eva, un agent-double qu'il épousera en fin de film.

 

Etre ou ne pas être Kaplan

Du point de vue de son affirmation virile, la construction en miroir du film est assez évidente : dans la première partie, sa mère le sort de prison et ridiculise ses angoisses de mort au point de plaisanter avec ses assassins potentiels, tandis que dans la seconde, Eva s'inquiète pour le devenir de Thornhill au point de mettre en scène un faux assassinat (de la portée symbolique de cette scène?). Délaissant son statut d'enfant pour celui d'un homme acceptant son destin, Thornhill finit d'ailleurs par sauver la vie d'Eva sur le Mont Rushmore et la posséder tout à fait (le film se termine sur une demande en mariage à bord d'un train qui rentre de manière très suggestive dans un tunnel).

 

Véritable charnière entre ces deux mouvements, la scène de l'avion est signifiante à plus d'un titre : si Hitchcock s'amuse avec les codes du western et du film noir ("Hitchcock explique dans une interview qu’il tourne là le dos au cliché du genre : grands espaces par opposition aux rues étroites à pavés gras du film noir, avion venu de nulle part au lieu de la limousine pointant au bout de la rue. La Cadillac noire sur la route déserte est, en l’occurrence, un leurre commentant le cliché : Thornhill a un mouvement de frayeur et l’on s’attend à ce que les mitraillettes crachent la mort par les portières. Dans le même esprit, le face à face avec le péquenot chapeauté de part et d’autre de la route ressemble à un duel de Western." in http://www.cineclubdecaen.com/realisat/hitchcock/mortauxtrousses.htm), il prend aussi bien soin de construire une scène en miroir : Arrivé en bus, Thornhill se tient d'un côté de la route,  tandis que de l'autre côté se trouve l'homme qu'il croit être Kaplan et qui repartira en bus, avec une mise en scène qui projette cette symétrie à l'écran (une route au centre, deux hommes de part et d'autre). Thornhill traverse le miroir et dissipe ainsi l'illusion : l'homme n'est pas celui qu'il cherche et le seul Kaplan ici, c'est Thornhill, au rendez-vous de son potentiel devenir. Dès cet instant et pour toute la seconde partie du film, le héros ne cessera de progresser dans sa connaissance de la vérité, et dans une certaine mesure, cessera d'être dupe pour duper à son tour ou pour confondre ceux qui le manipulent. On observera d'ailleurs que tous les aspects comiques de la première partie du film disparaissent alors pour céder la place au suspense, à l'action et à la romance. Et la mère du héros de céder la place à sa maîtresse.

 

Rushmore and more... 

En arrière-plan de la métamorphose de Thornhill, on pourra également s'intéresser au regard que porte Hitchcock sur la société américaine contemporaine et ses rouages politiques ou économiques. Les institutions semblent en faillite, à l'image du siège des Nations Unies où il semble si facile d'assassiner quelqu'un ou d'une police souvent ridicule (voir la fin de la poursuite en voiture en début de film, la recherche frénétique de Thornhill parmi les bagagistes de la gare) ou juste inefficace (l'enquête bâclée du début, incapacité à arrêter un publicitaire en cavale). De fait, à l'image de ce que fait Thornhill en récupérant les microfilms ou encore le guichetier de la gare en alertant les autorités, l'ordre semble plus garanti par la vigilance et le bon couloir des citoyens que par l'Etat même, dont la grandeur ne semble survivre que dans les figures du Mont Rushmore. Et quand ce dernier s'incarne dans les agents de la CIA, c'est au prix d'un certain cynisme : on est prêt à sacrifier l'homme de la rue pour marquer des points dans la guerre froide, comme au bon vieux temps du Maccarthisme qui s'est achevé 6 ans avant la sortie du film.

 

Mais ce n'est pas tant cette guerre froide qui intéresse Hitchcock (les méchants espions sont des mercenaires et on ne mentionne jamais la Russie) que les paradoxes du système américain, lequel semble tourner à vide comme trente ans auparavant, comme le souligne l'inconnu qui n'est pas Kaplan : "That's funny, that plane's dustin' crops where there ain't no crops." Et l'avion de se crasher dans un camion citerne rempli d'essence en plein désert. En vis-à-vis de cette vision stérile et morbide, on appréciera à juste titre la scène des enchères, où Thornhill dérègle l'unique rouage qui tienne encore cette mécanique sociale : l'argent. C'est pour lui le seul moyen de se faire arrêter et la promptitude des autorités à cet instant semble souligner le fait qu'on peut bien assassiner un dignitaire des Nations Unies et s'enfuir, mais qu'on ne peut pas s'en prendre au capitalisme même. Sans qu'il y ait réellement de propos très formel sur le sujet, on ne s'étonnera pas d'apprendre, en fin de film, que c'est précisément grâce à cette salle d'enchères que les espions parvenaient à organiser la fuite d'informations secrètes.

 

Que penser enfin, de ce qu'est Thornhill en début de film : un homme à slogans qui fait vendre, capable de faire tourner la machine capitaliste ou de la gripper comme en 1929… On regardera aussi avec une attention particulière le générique de début, avec ses rangées de voitures se reflétant des les perspectives d'un building, très éloigné du dernier plan, potache sans doute, mais assurément plus intimiste et franc…

 

http://vincentthe1.blogspot.com/2006/06/la-mort-aux-trousses.html

 

 

 

 

 

Publié dans Cinéma

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