Twin Peaks : Fire walk with me

Publié le par noaR

Sortie : 1992
Réalisation : David Lynch
Scénario : David Lynch et Robert Engels

 

Laura Palmer, belle mais pas trop, incarne une image complexe de la fille qui devient femmeReprenant l'univers et les héros de la série télévisée éponyme, Twin Peaks : Fire walk with me laisse de côté les intrigues fantastiques du feuilleton pour se recentrer sur les thématiques habituelles de Lynch et sa passion pour le symbolisme psychanalytique.

De ce point de vue, le film évoque grandement Blue Velvet, au point qu'on pourrait considérer les deux films comme faisant partie d'un même dyptique mettant en scène les fantasmes et angoisses sexuelles de l'homme pour Blue Velvet, et de la femme pour Twin Peaks.

A l'angoisse de castration répond ainsi celle de la pénétration, cependant que le complexe d'Oedipe est bien présent dans les deux films : quand Dennis Hopper joue les bébés d'Isabella Rossellini dans Blue Velvet, Laura Palmer est consumée par le désir de son père dans Twin Peaks.

Comme d'habitude avec Lynch, l'histoire et sa cohérence importent moins que la beauté plastique des images et leur portée symbolique. Si rien ne semble devoir éclairer les intrigues fantastiques et fantasques du Twin Peaks télé, le film propose une belle variation autour du thème du petit chaperon rouge : paumée dans son adolescence comme dans une épaisse forêt, l'héroïne est à la merci de Bob, un grand méchant loup qui la visite chaque nuit depuis qu'elle est pubère. La grand-mère, quant à elle, est bien loin, et tout le monde sait qu'elle a déjà été mangée...

Pour les besoins de la démonstration, le cinéaste a pris soin de recourir à un personnage relativement anonyme : jolie sans être réellement belle, Laura Palmer est une banale adolescente américaine à la vie aussi ordinaire que son nom, une "plus belle fille du lycée" de Ploucville comme il en existe des milliers. La personne idéale, en somme,  pour dépeindre une Féminité qui, durant tout le film, prend différents visages : fille, femme, putain, soeur ou maman...

Laura face à deux clients du pubL'ambiguïté est d'ailleurs manifeste dans la scène du pub où Laura s'offre en pâture à la concupiscence masculine. Résolue à se perdre, elle reçoit deux hommes à sa table qui lui tendent quelques dollars pour acheter ses faveurs : "Tu vas aller jusqu'au bout, hein, petite fille ?" et elle de répondre gravement "Tôt ou tard". Et quand Donna, sa meilleure amie, attristée par la scène, tente de rejoindre la sauterie pour mieux veiller sur Laura, cette dernière prend tour à tour deux visages : celui de la mère d'abord, lorsqu'elle use d'un ton péremptoire pour éloigner son amie d'une "grosse bêtise", celui d'une rivale ensuite, lorsqu'elle embrasse à pleine bouche l'un des deux hommes pour défier Donna d'aller plus loin.

Laura dans les bras de Bob... ou de son père ?Devançant la souillure par peur de perdre sa virginité, Laura est ainsi une fille qui balance entre porte jarretelles et soquettes blanches, se déhanche nue dans un pub mais s'effraye à l'idée que Bob, l'incarnation de la pédophilie paternelle, puisse lire son journal intime. Cherchant à s'affranchir du problème oedipéen, elle multiplie les aventures pour réaffirmer la maîtrise de son corps, et marche droit, ainsi , vers sa propre destruction. La solution à ses problèmes est toutefois soumise dès le début du film par une alliance, liée au cadavre d'une jeune fille qui lui ressemble étrangement.

Par ce biais, Lynch nous renvoie à la symbolique du mariage qui réclame la mort de la vierge pour que naisse la femme. Quand Laura passe la bague à la fin du film, galvanisée par la présence d'un ange, elle meurt d'ailleurs, assassinée rageusement par un père ivre de jalousie, un amant qui ne veut pas que sa maîtresse lui échappe.

Tout cela se joue bien sûr à l'échelle du symbole et il n'est pas question ici de voir un quelconque fond réaliste ou fantastique dans l'histoire. Laura Palmer, comme tant d'autres héros lynchéen, est d'ailleurs un personnage relativement vide, sans trait de caractère particulier, et qui n'existe qu'au travers de ses peurs : une allégorie de femme plutôt qu'une femme, pour mieux asséner la généralité du propos.

Publié dans Cinéma

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article