Dogville

Publié le par noaR

Mi-ange, mi-démon, Nicole Kidman vient révéler les habitants de Dogville à leur vraie nature...Sortie : 2005
Réalisateur : Lars Von Trier



Que ce serait-il passé si les nains avaient abusé de la détresse de Blanche-Neige dans le célèbre conte des frères Grimm ? C'est en quelques sorte la question que pose Lars Von Trier avec Dogville, qui narre l'arrivée de l'intégration d'une jeune et jolie jeune femme au sein d'une petite communauté rurale des Etats Unis.


Dans le rôle du présumé Prince Charmant, l'intellectuel idéaliste du village convaint vite les habitants d'héberger Grace : par principe chrétien, d'abord, mais aussi pour donner un corps et une âme à la petite communauté.


Nicole Kidman en Blanche-Neige au beau milieu de pommes empoisonnées...Au fil du temps, il apparaît toutefois que cette hospitalité mérite salaire et que Grace doit se rendre utile, en proposant ça et là ses services gratuitement. Si la démarche semble un premier temps porter ses fruits, elle ne tarde pas à montrer ses effets pervers : Grace est intégrée, mais elle est intégrée comme un paria et passe du statut d'invité rendant des services à ceux de bonne à tout faire puis d'esclave.

 

De l'importance du bouc-émissaire pour la cohésion d'un groupe : voilà le sujet qui semble alors se dessiner, et face à la résignation de Grace et à sa pureté, l'image de Blanche-Neige cède progressivement la place à celle du Christ, dont le martyr a servi de fondement à la communauté chrétienne. Comme dans le théorème de Pasolini, Grace semble d'ailleurs avoir ce mystérieux pouvoir : elle révèle la vraie nature de Dogville et de ses habitants, se liant à eux pour mieux les faire imploser...


Grace retrouve son père comme un Christ retrouverait Dieu au beau milieu de sa crucifixion.

Délaissant l'anthropologie pour la philosophie, Lars Von Trier imagine en effet, lors de la dernière portion du film, une version alternative de l'histoire biblique : le père de Grace, un ponte de la mafia qu'elle fuyait pour des histoires de famille, vient débattre avec elle des événements. Sur la banquette arrière d'une automobile, Dieu lui-même interroge alors Jesus sur la vanité et l'orgueil de sa démarche, sur les bienfaits d'une miséricorde qui nie, au final, la liberté de faire le bien ou le mal... Moins convaincue par la démonstration que par la médiocrité du genre humain, Grace accepte alors de revoir sa position : elle quitte son rôle de martyr et ordonne logiquement la mise à mort de tous les habitants du village... CQFD.

 

Servi par des acteurs excellents emmenés par une Nicole Kidman dont le physique mi-ange mi-démon n'a jamais été plus à propos, le film est, comme d'habitude avec Lars Von Trier, marqué par certains partis-pris en terme de réalisation. Toutefois, si la caméra tremblotante de Festen pouvait nuire à l'intelligibilité du propos, force est d'admettre que les choix esthétiques de Dogville sont pleinement justifiés : les murs tracés à la craie renvoient à l'idée que ce sont les habitants mêmes, leurs pulsions, leur indifférence, leurs regards et leurs bassesses qui sont sources d'aliénation. A mesure que le film se déroule, il semble d'ailleurs qu'on finit par voir ces murs comme s'ils existaient physiquement, cependant qu'une utilisation judicieuse des accessoires permet de contextualiser chaque scène dans un lieu précis. Au-delà, Dogville nous apparaît comme ce qu'il est en réalité : une abstraction de laboratoire où l'on observe l'âme humaine et ses réactions chimiques avec le bien et le mal. Bref, la réussite plastique indéniable est au service d'un propos d'une rare profondeur. Pour l'heure, le meilleur film de Lars Von Trier... et de loin !

Publié dans Cinéma

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